Pollution des sols - Dr Jean Lefèvre
Image par IStock
Le 29 septembre 2020, la Commission d’enquête Sénatoriale sur les pollutions des sols d’origine industrielle et minière rendait ses conclusions et émettait des propositions pour « assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l’avenir ».
Cette publication est une bonne occasion pour s’intéresser dans cette brève au problème de la pollution des sols de cette origine, problème relativement négligé par rapport à la pollution de l’air et de l’eau.
La pollution des sols d’origine industrielle et minière est, par rapport à la pollution des sols par les pesticides, ou par le radon, celle dont on parle le moins. Elle est dans la grande majorité des cas urbaine ou sub-urbaine ; en effet la densification urbaine, les jardins et espaces verts où jouent des enfants et où sont parfois cultivés des légumes, sont souvent établis sur des anciens sites de ce type.
Elle s’inscrit donc dans la problématique de la pollution des sols :
Celle-ci peut se partager en 2 types:
Pollutions diffuses :
- D’origine essentiellement agricole par des nitrates (lisiers, engrais), les phosphates (engrais), les pesticides (en particulier chlordécone en outre-mer, véritable problème de santé publique, lindane en métropole, interdit maintenant mais très persistant, cuivre dans les régions viticoles). On peut y ajouter selon une étude parue dans la revue Agriculture, Ecosystems and Environment [1] la présence très importante de pesticides dans tous les milieux, y compris les parcelles non traitées, les haies, bosquets. Cette étude révèle que 80% des vers de terre sont contaminés à des doses très importantes par les néonicotinoides, ce qui informe sur le caractère bio-accumulable de cette substance. Ces résultats inquiètent car ils concernent vraisemblablement toute la chaîne alimentaire. Concentrations relativement faibles (mais parfois significatives) de polluant, risques à court et long terme.
- Pollution naturelle par le radon, radioactif, dans certaines régions (Bretagne, Massif central, corse)
Pollutions ponctuelles (dont celles qui nous intéressent)
- Pollutions accidentelles (Usine Lubrizol, Incendie de ND de Paris)
- Pollutions chroniques par contamination des sols industriels, miniers, ou urbains.
I/ Les principaux polluants : Nous ne nous intéresserons qu’aux pollutions ponctuelles, essentiellement industrielles et minières qui sont le sujet d’intérêt de la commission d’enquêtes.
A/Métaux et métalloïdes dits « Eléments Trace Métalliques (ETM )» :
Naturellement présents dans les sols, les métaux (cuivre, nickel, plomb etc…) et métalloïdes (arsenic, bore …) sont aussi des rejets de l’industrie, des ménages, des transports ou de l’agriculture entrainant une contamination supplémentaire et significative des sols, pouvant être délétère pour les hommes, la biodiversité, l’environnement.
- Le plomb: Neurotoxique, hématotoxique (saturnisme), perturbateur endocrinien. Essentiellement pollution d’origine urbaine et industrielle (automobile, peintures, loisirs).
- Le cadmium: Origine industrielle ou agricole (engrais). Cancérogène et perturbateur endocrinien.
- Le chrome: Cancérogène, mutagène et immunotoxique. Retrouvé dans les boues d’épuration, les effluents d’élevage, l’industrie.
- Le mercure: Néphrotoxique, neurotoxique et perturbateur endocrinien. Utilisé dans la production de chlore, de soude, en métallurgie, pâte à papier ; retrouvé dans certains déchets miniers et après incinération de déchets.
- L’arsenic: Utilisé dans l’industrie mais aussi comme pesticide (arséniate de plomb interdit en 1971, arséniate de sodium interdit en 2001). Cancérogène et perturbateur endocrinien.
B/Polluants organiques :
- Les hydrocarbures aromatiques polycycliques et aliphatiques: Les premiers sont de la famille du benzène, les seconds (alcanes, alcynes dont paraffine, mazout …) sont moins toxiques (cancérogènes) que les premiers.
- Les PCB ( Polychlorobiophényles): Isolants de transformateurs électriques. Interdits depuis 1987, ils sont bioaccumulables et très persistants. Cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.
- Dioxines: Perturbateur endocrinien, promoteur tumoral, immunotoxique. Dérivées par combustion d’organochlorés (incinérateurs, industrie métallurgique, sidérurgique, pétrochimique, transports …).
- Les composés perfluorés (PFAS): perturbateurs endocriniens, cancérogènes, immunotoxiques. Très persistants (surtout les PFAS à chaine longue), ils sont aussi solubles dans l’eau. Persistants, ils sont aussi bio-accumulables. On les trouve donc dans les sols industriels (fabrication ou utilisation d’antiadhésifs pour ustensiles de cuisine, vêtements, matériaux de construction, mousses anti-incendies) ; Très solubles, ils sont absorbés par les végétaux et contaminent les aliments.
- Composés organiques volatils (COV): Cancérogènes, hématotoxiques, hépatotoxiques, perturbateurs endocriniens … Ils constituent le problème de la migration des pollutions volatiles des milieux souterrains vers l’air, enjeu majeur dans la reconversion de sites présentant un passif environnemental. Solvants (trichloréthylène), dérivés du pétrole, vernis, colles.
II/ Les voies d’exposition :
- Ingestion ou contact direct (enfants)
- Ingestion de végétaux pollués (en particulier légumes racines)
- Ingestion d’aliments d’origine animale venant d’animaux contaminés (viande, lait, œufs)
- Ingestion d’eau polluée
- Inhalation de gaz, de poussières polluées.
Notre pays comptant plus de 320.000 anciens sites d’activité industrielle ou de services et plus de 3000 sites miniers et la législation précisant que toute nouvelle activité au niveau de tels sites doit faire l’objet d’une déclaration ou autorisation préfectorale au titre d’une ICPC (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement), la Commission d’Enquête conclut qu’il est nécessaire de renforcer la législation selon 5 axes :
A/ Améliorer la qualité et la lisibilité de l’information sur les sites et sols pollués
La fragmentation de l’information disponible et la technicité des données rendent l’identification des sites et sols pollués encore aujourd’hui très incomplète. Souvent la disparition de l’exploitant responsable et son insolvabilité rendent la gestion et la réparation des dommages plus difficile.
Le développement d’une information claire, pédagogique et accessible à tous semble prioritaire. Il semble donc indispensable de faire évoluer la législation dans ce sens.
De même l’établissement d’un programme national d‘identification des risques liés aux pollutions des sols est proposé ainsi qu’une liste des substances polluantes dans la surveillance identifiée comme prioritaire.
Enfin est proposé l’inventaire et le diagnostic des sols des établissements devant recevoir des enfants.
B/ Introduire dans la législation française un véritable droit de la protection des sols
- Elaboration d’une directive européenne sur la protection des sols
- Définition législative de la pollution des sols
- Clarification des notions d’usage de remise en état et de réhabilitation
- Mettre un terme aux asymétries entre le code minier et le code de l’environnement en matière de responsabilité de l’exploitant et de prévention des risques sanitaires et environnementaux.
C/ Amélioration de la surveillance pour mieux prévenir et gérer les pollutions des sols.
- Renforcement des capacités de l’inspection des installations classées pour procéder à plus de contrôles non seulement à la cessation d’activité mais aussi pendant celle-ci.
- Analyse approfondie des capacités financières des entreprises pour assumer leur obligation de remise en état.
D/ Réunir les conditions d’une gestion réactive et transparente des risques sanitaires et d’une meilleure réparation des préjudices écologiques.
- Définition d’un cadre de veille et de gestion des risques sanitaires.
- Communication systématique par le préfet et l’ARS de toute suspicion d’une pollution des sols susceptible de présenter un risque sanitaire.
- Mise en ligne par Santé Publique France d’une liste régulièrement actualisée de l’ensemble des sites dont la pollution des sols présente un risque avéré pour la santé et rappelant les mesures de gestion du risque à mettre en œuvre ou à envisager.
- Introduction systématique dans les communes comportant un site recensé dans le plan communal de sauvegarde d’un volet spécifique consacré à l’alerte, l’information, la protection et le soutien de la population en cas de pollution industrielle ou minière des sols.
- Institution d’un programme national de surveillance de la présence de substances polluantes prioritaires dans les sols.
- Création de centres régionaux de santé environnementale chargés d’examiner les dossiers d’évaluation de l’impact sanitaire d’expositions environnementales sur saisine du préfet, de l’ARS, d’élus locaux ou d’associations de riverains.
- Participation des exploitants au financement des études d’imprégnation et épidémiologiques en se rapprochant du principe pollueur/payeur.
- Etablissement de registres de morbidité portant en particulier sur les cancers et les malformations congénitales et pouvant aider à étudier des effets de mélanges (effets cocktail)
E/ Mobiliser les friches industrielles et minières dans une démarche d’aménagement durable.
- Faciliter la valorisation des terres excavées car polluées
- Incitations fiscales pour orienter la demande vers des techniques de dépollution respectueuses de l’environnement.
- Soutenir le dispositif du « tiers demandeur » mis en place par la loi ALUR autorisant un tiers à réaliser à la place de l’exploitant les travaux de réhabilitation nécessaires lorsque ce tiers est porteur d’un projet ultérieur pour le terrain concerné.
- Création d’un fond national de la réhabilitation des sites et des sols pollués.
- Enfin mise en place d’incitations fiscales aux travaux de dépollution.
Compte tenu de la fréquence de ces situations de pollutions de sites anciennement industriels, occupés auparavant par des entreprises de petite taille ou beaucoup plus importante, promis à des affectations différentes d’une part et du fait que cette pollution des sols a longtemps été négligée par la loi, les responsables politiques d’autre part, il reste à souhaiter que les conclusions de cette commission seront prises en compte par nos gouvernants.