Tribune du collectif AIR-SANTE-CLIMAT suite au rapport de l'IFPEN sur les véhicules essence, diesel et hybrides de dernière génération
Cette tribune a été adressée à Madame la Ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili ainsi qu’à Monsieur le Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran.
Notre collectif AIR-SANTE-CLIMAT composé de médecins, de chercheurs et de responsables associatifs a pour objectif d’alerter sur l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé et de proposer des solutions pour améliorer la qualité de l’air. Notre combat est celui de la vérité scientifique.
Une étude de l’IFP Energies Nouvelles (IFPEN) nous apprend des faits considérables et montre qu’il y a des lacunes importantes qu’il faut combler :
- Que, contrairement à ce que les défenseurs du diesel nous répètent depuis des années, le diesel n’est pas vraiment meilleur pour le climat que l’essence. En effet en prenant en compte l’ensemble des émissions des gaz à effet de serre (le CO2 le N2O et le CH4) les deux technologies sont au coude à coude : à noter que le black carbon – constituant essentiel des particules diesel – connu pour aggraver fortement le réchauffement climatique n’a pas été mesuré dans cette étude. Selon les technologies de dépollution des véhicules diesel utilisées (piège à NOx), des véhicules diesel peuvent même être moins performants sur ce point que des véhicules essence équivalents. Donc le « bonus CO2 » dont bénéficient les véhicules diesel est sans fondement.
- Cette étude confirme ce que l’on savait déjà : les véhicules diesel émettent plus d’oxydes d’azote (NOx) que les véhicules essence (4,4 fois plus en moyenne) mais malheureusement cette étude ne s’est pas intéressée spécifiquement au dioxyde d’azote (NO2) qui est le seul parmi les NOx à être toxique, et qui est émis proportionnellement en plus grande quantité par les véhicules diesel (surtout récents) comparativement aux véhicules essence. Cette mesure tronquée constitue un biais d’estimation des effets sur la santé des émissions de NO2 des véhicules diesel. En effet, le rapport NO2/NOx ne cesse d’augmenter sur les véhicules diesel récents. En outre, le NO2 est le principal précurseur de polluants secondaires comme l’ozone en été et des particules fines et ultrafines secondaires en toutes saisons en raison de recombinaisons avec d’autres polluants comme le NH3, notamment d’origine agricole ou lié au trafic essence ou diesel.
- Cette étude, réalisée en conditions réelles de circulation et non sur banc, en conditions optimales, souligne la toxicité accentuée en ville des véhicules thermiques avec des émissions de NOx et de particules qui s’envolent sur de courts trajets et également en cas de températures extérieures froides, soulignant la nécessité de sortir rapidement les véhicules thermiques, surtout diesel, des villes. On remarque en effet que sur des trajets courts (1 km) les véhicules diesel émettent en moyenne 3,5 fois plus de NOx (combien en NO2 ?) que les véhicules essence et que même sur des trajets longs les véhicules diesel émettent encore 4 fois plus de NOx que les essence, alors que leurs systèmes de dépollution sont pleinement fonctionnels. Les températures extérieures froides engendrent un surcroît de pollution important, il convient donc de rappeler que les villes froides sont particulièrement sensibles aux émissions des véhicules thermiques. L’hiver pour les métropoles du Nord de la France ou des villes avec un climat continental (Strasbourg, Grenoble …) sans parler des vallées alpines aggravera donc nettement la pollution urbaine déjà accentuée en raison du chauffage notamment au bois, et de phénomènes météorologiques telles que les inversions thermiques responsables de pic de pollution intenses et prolongées.
- Concernant les particules ultrafines (PUF) émises par les véhicules, les résultats sont à prendre avec prudence. En effet parmi les 6 véhicules essence, un des véhicules essence a été testé sans filtre à particules alors que tous les véhicules diesel testés avaient un filtre à particules. Mais surtout rien n’est dit sur la composition de ces PUF. En effet, comme notre collectif l’a régulièrement rappelé, la composition des PUF diesel est peu variable, constituée de black carbon (carbone pur) au centre de la particule et de métaux et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et quinones en périphérie de la particule, qui font la toxicité des particules diesel. La composition et la toxicité des particules essence est plus variable et notamment la richesse en HAP des particules essence va dépendre du type de carburant utilisé, la majorité de ses hydrocarbures étant monocycliques. Les véhicules essence peuvent rouler à 85 % d’éthanol (E 85), 10% d’éthanol (SP 95 E10), 5 % d’éthanol (SP95) et 2 % d’éthanol (SP98). Plusieurs rapports ont démontré une chute drastique des HAP (et donc de la toxicité des particules) entrant dans la composition des particules essence lorsque la part d’éthanol augmente. Sur les véhicules gaz (GPL et GNV) la part des HAP sur les particules disparait.
- Ces HAP qui font LA toxicité principale des particules issues de la combustion des véhicules diesel et essence se retrouvent également sous forme de gaz, appelés dans cette étude hydrocarbures imbrûlés (HC). Ces HAP gazeux sont émis en plus grande quantité par les moteurs diesel et de plus, les HAP diesel sont souvent plus « lourds » et donc plus toxiques que ceux émis par les essence, avec notamment un effet cancérigène des HAP diesel reconnu en 2012 par le Centre International de recherche sur le cancer.
- Concernant les filtres à particules, il existe une grande différence entre les véhicules diesel et essence qui n’est pas précisée dans cette étude : en effet en raison de la richesse en hydrocarbures lourds des carburants diesels, les FAP diesel ont tendance à s’encrasser-s’obstruer rapidement ce qui demandera de nombreuses phases de génération du filtre, générant une importante pollution aux particules fines et aux oxydes d’azote. D’ailleurs, la régénération des filtres à particules diesel nécessite une température très élevée (entre 550 et 650 degrés) difficilement atteignable en ville. A la différence des FAP diesel, les filtres à particules essence n’ont pas besoin de ces phénomènes de régénération. Surtout, sur le long terme les FAP essence ne nécessitent que peu d’entretien et restent performants plusieurs années durant, à la différence des filtres à particules diesel qui nécessitent un entretien et un renouvellement régulier pour être opérationnels. Il est donc légitime de se poser la question de ces diesels Euro- 6d temp testés dans l’étude, qui d’ici 2, 5 ou 10 ans pourraient devenir extrêmement polluants, comptes tenus de l’exigence et du coût élevé nécessaire à l’entretien du système de dépollution, notamment de ces filtres à particules.
- L’étude démontre une émission plus importante de monoxyde de carbone (CO) par les véhicules essence, celle-ci restant cependant en moyenne inférieure à la moitié des valeurs maximales de la norme d’émission. Cette différence n’est pas surprenante. Un fonctionnement en excès d’air comme sur les véhicules diesel conduisant à une moindre production de CO et à une plus grande production de NO2. Avant l’apparition des pots catalytiques sur les véhicules essence au début des années 1990, le CO dans l’environnement extérieur était un problème de santé publique. Ce n’est plus le cas actuellement, mais on a remplacé un problème par un autre : le CO par le NO2.
- En ce qui concerne les véhicules hybrides rechargeables, l’étude montre le rôle essentiel de la fréquence des recharges. Un véhicule jamais rechargé polluera quasiment autant que le véhicule identique fonctionnant à l’essence (et pas plus comme certaines informations mal fondées ont pu le faire croire récemment). A l’inverse un véhicule hybride rechargeable fréquemment rechargé et circulant en ville ne polluera pas plus qu’un véhicule électrique. Cela dit, il faut des études pour évaluer si du fait de la lourdeur des batteries ces véhicules consomment davantage que les autres, ce qui pourrait être à la source d’un supplément d’émissions.
En conclusion : Notre interprétation des résultats de cette étude est que : les véhicules diesel, même les plus récents, restent beaucoup plus polluants en termes d’effets sur la santé que les véhicules essence, notamment en raison de leurs émissions en oxydes d’azote (NOx) très supérieures à celles des véhicules essence. Même si tous les véhicules thermiques sont polluants et devront progressivement disparaitre des centres urbains, la priorité doit être donnée à l’exclusion des véhicules diesel, qui mesurés en conditions réelles se révèlent les plus polluants en termes d’effets sur la santé, sans bénéfice patent sur l’effet de serre.
Le collectif Air Santé Climat
Professeur Isabella Annesi-Maesano, Directrice de recherche INSERM / Directrice d’équipe labellisée INSERM et Sorbonne Université EPAR ;
Docteur Mallory Guyon, Collectif Environnement Santé 74 ;
Docteur Thomas Bourdrel, Collectif Strasbourg Respire ;
Docteur Gilles Dixsaut, Comité Francilien contre les maladies respiratoires ;
Docteur Pierre Souvet, Association Santé Environnement France (ASEF) ;
Docteur Jean-Baptiste Renard, Directeur de recherche LPC2E-CNRS ;
Guillaume Muller, association Val-de-Marne en Transition.
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