3 octobre 2024

Un mécanisme moléculaire biologique explique le lien Bisphénol A et troubles du spectre autistique

Selon l’OMS [1], les TSA toucheraient 1 personne sur 100 dans le monde.
En France, on estime à près de 8 000 enfants par année, essentiellement des garçons (près de 4 garçons pour 1 fille (suggérant le rôle d’un trouble du neurodéveloppement spécifique au sexe) qui seraient concernés avec une prévalence en augmentation nette comme le montre le graphique de Santé Publique France.

Aux Etats-Unis, les chiffres du Center Desease Control and Prevention [2] estiment à 1 enfant sur 36 diagnostiqué en 2020 contre 1 sur 150 en 2 000 avec un pourcentage de 26% d’autisme profond chez ces enfants autistes.

L’étiologie des troubles du spectre autistique (TSA) impliquerait des composantes génétiques et environnementales comme l’exposition à des plastifiants (bisphenols, phtalates). De nombreuses études se sont concentrées sur le bisphénol A, plastifiant présent dans les boites de conserve, canettes, biberons. La principale voie de métabolisme et d’excrétion du Bisphénol A (BPA) est la glucuronidation. Les métabolites urinaires du BPA ont été corrélées au diagnostic d’autisme et les concentrations de métabolites et le BPA total étaient environ 3 fois plus élevé dans le groupe TSA que dans le groupe témoin (P < 0,001), suggérant une association entre le BPA et le TSA [3].

Par la suite, plusieurs hypothèses ont tenté d’expliquer le lien BPA – Autisme :
Une augmentation des taux sanguins de sérotonine (les taux urinaires de sérotonine sont élevés chez les autistes ainsi qu’une altération de la transmission sérotoninergique chez les enfants et adultes autistes) faisant suspecter un défaut de développement du système sérotoninergique cérébral ;
Une perturbation des mécanismes liés au GABA (neurotransmetteur cérébral, qui module l’activité du système nerveux central) ;
Des troubles des hormones thyroïdiennes (essentielles pour la synthèse des neurones de l’embryon et du fœtus). [4]

En 2023, Peter Stein et son équipe de l’université de Statford (USA) montre dans une étude [5] sur 149 enfants que les enfants atteints de TSA et de TDAH ne parviennent pas à éliminer le Bisphénol A avec autant d’efficacité que les autres enfants.

Dans le cas du Bisphénol A, l’efficacité d’élimination est réduite d’environ 11 % pour les enfants atteints de TSA et de 17 % pour les enfants atteints de TDAH, par rapport au groupe d’enfants neurotypiques suggérant que des mutations génétiques sont à l’origine de cette difficulté de détoxification du Bisphénol A.

Un bémol : tous les enfants atteints d’un trouble neurodéveloppemental n’ont pas de difficulté à éliminer le Bisphénol A, d’autres facteurs entrent donc également en jeu.

Une étude australienne publiée dans NATURE en août 2024 va-t-elle nous apporter la réponse ?

En analysant les données de deux grandes cohortes de naissance, la Barwon Infant Study en Australie (1074 enfants) et la Columbia Center for Children’s Health and Environment aux États-Unis (676 enfants), ils ont noté que les garçons, nés de mères présentant des taux urinaires de BPA plus élevés en fin de grossesse avaient 3,5 fois plus de risques de présenter des signes d’autisme à l’âge de 2 ans et 6 fois plus susceptibles d’avoir un diagnostic d’autisme vérifié avant l’âge de 11 ans que ceux dont les mères avaient des niveaux de BPA faible pendant la grossesse.

Ce lien était particulièrement fort chez ceux qui ont des niveaux plus faibles d’enzymes aromatases. Cette substance contrôle les neurohormones et joue un rôle essentiel dans le développement du cerveau fœtal masculin.

Pour rappel, le développement du système nerveux central des garçons est différent de celui des filles. L’aromatase cérébrale joue un rôle-clé. Pendant le développement fœtal, l’aromatase, fortement exprimée chez les garçons et encodée par le gène CYP19A1, transforme les androgènes neuronaux en œstrogènes neuronaux.

Bisphenol A (BPA) exposure reduces levels of aromatase, Nature Communications

Ils ont complété leurs recherches par des études in vitro et in vivo.

In vitro, le bisphénol A inhibe l’expression du gène CYP19A1 qui permet la synthèse de l’aromatase.

Dans des cultures de cellules de neuroblastome humain, le BPA réduit l’expression de l’aromatase.

Chez la souris, l’exposition prénatale au BPA ou la perte d’aromatase chez les souris mâles ArKO (modèle transgénique présentant une disruption du gène Cyp19a1 avec inhibition de l’aromatase) entraîne notamment une hypoactivation de l’amygdale et modifie la réponse comportementale à un nouveau stimulus social ainsi que des anomalies de la couche corticale neuronale V et de la fonction cérébrale.

Une explication possible est que la programmation épigénétique par les bisphénols augmente la méthylation du gène de l’aromatase, conduisant à son expression cellulaire réduite et à une déficience de la signalisation des œstrogènes dépendante de l’aromatase.

Les chercheurs ont voulu savoir si une supplémentation en œstrogènes, comme l’acide 10-hydroxy-2-décénoïque (10HDA), un composant lipidique majeur de la gelée royale des abeilles, peut être pertinente comme intervention nutritionnelle pour les TSA. En effet, le 10HDA est connu pour avoir un effet positif sur l’expression génétique par la stimulation des éléments d’ADN sensibles aux œstrogènes et de son rôle dans la neurogenèse, en agissant comme ligand au même site que le BPA sur les récepteurs d’œstrogènes α et β.

Ces caractéristiques pourraient, ensemble, compenser un manque relatif d’œstrogènes neuronaux générés par l’aromatase.
– Des cellules neuronales en culture ont été protégées des séquelles indésirables observées pour le BPA seul par l’administration post natale de 10HDA en association avec le BPA (à la même dose)
– Chez la souris, après 3 semaines de traitement postnatal quotidien au 10HDA la sociabilité des souris mâles exposées au BPA et la morphologie des dendrites dans la culture cellulaire primaire a été amélioré. [6]

Si le BPA est interdit dans les contenants alimentaires depuis 2015, et donc théoriquement absent, il a pu être remplacé par d’autres bisphénols, aux propriétés similaires comme le Bisphénol S, le Bisphénol F par exemple.

En attendant nous vous conseillons de réduire l’utilisation des plastiques (en particulier pendant la grossesse), de préférer les conserves et canettes en verres et de ne pas chauffer au micro-ondes vos aliments dans l’emballage ou le contenant plastique.

SOURCES :

  1. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/autism-spectrum-disorders
  2. Hughes MM, Shaw KA, DiRienzo M, et al., The Prevalence and Characteristics of Children With Profound Autism, 15 Sites, United States, 2000-2016. Public Health Rep. 2023 Nov-Dec;138(6):971-980. doi: 10.1177/00333549231163551. Epub 2023 Apr 19. PMID: 37074176; PMCID: PMC10576490. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37074176/
  3. Stein TP, Schluter MD, Steer RA, et al. Bisphenol A Exposure in Children With Autism Spectrum Disorders. Autism Res. 2015 Jun;8(3):272-83. doi: 10.1002/aur.1444. Epub 2015 Jan 13. PMID: 25641946; PMCID: PMC4474754. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25641946/
  4. Sarrouilhe D, Dejean C. Les relations entre le bisphénol A et les troubles du spectre autistique se précisent : la sérotonine est-elle le lien manquant ? [Autism spectrum disorders and bisphenol A: Is serotonin the lacking link in the chain?]. Encephale. 2017 Aug;43(4):402-404. French. doi: 10.1016/j.encep.2016.04.007. Epub 2016 Sep 9. PMID: 27623126. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27623126/
  5. Stein TP, Schluter MD, Steer RA, Ming X. Bisphenol-A and phthalate metabolism in children with neurodevelopmental disorders. PLoS One. 2023 Sep 13;18(9):e0289841. doi: 10.1371/journal.pone.0289841. PMID: 37703261; PMCID: PMC10499243. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37703261/
  6. Symeonides, C., Vacy, K., Thomson, S. et al. Male autism spectrum disorder is linked to brain aromatase disruption by prenatal BPA in multimodal investigations and 10HDA ameliorates the related mouse phenotype. Nat Commun 15, 6367 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-48897-8