Contamination de l’eau potable par les PFAS : un danger pour la santé publique
L’exposition aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), déjà reconnue pour augmenter les risques de cancers du sein, des reins et des testicules, révèle de nouvelles préoccupations à travers une étude américaine récente. Cette recherche, l’une des premières à se pencher sur la contamination de l’eau potable par les PFAS[1], met en lumière des données particulièrement inquiétantes.
Des chiffres alarmants pour la santé publique
Entre 2016 et 2021, des liens significatifs ont été établis entre la présence de PFAS dans l’eau potable et une augmentation de plusieurs cancers rares. L’étude, publiée dans le Journal of Exposure Science & Environmental Epidemiology, estime que près de 6 864 cas de cancers par an aux États-Unis seraient attribuables à ces renommés « polluants éternels ».[2] Les résultats montrent des incidences préoccupantes variant selon le sexe de la personne :
- Chez les hommes : une hausse des cancers du cerveau et des leucémies.
- Chez les femmes : un excès de risques pour les cancers de la thyroïde et de la cavité buccale/pharynx.
En outre, cette étude révèle que les communautés américaines exposées à de l’eau contaminée présentent une incidence jusqu’à 33 % plus élevée pour certains cancers rares.[3] Ces observations, couplées aux risques déjà connus, renforcent la nécessité d’agir pour réduire l’exposition aux PFAS, omniprésents dans l’environnement et résistants à toute dégradation naturelle.
La situation en France est alarmante sur le sujet. En effet, les résultats de l’analyse de l’eau potable de 30 communes françaises menée conjointement par Générations Futures et l’UFC-Que Choisir montrent l’ampleur de la situation.[4] 24 des prélèvements effectués ont révélé la présence de TFA, résidu de pesticides notamment à Paris. Aux environs de Rouen se trouve un véritable mélange chimique et nocif pour notre santé : près de 10 PFAS ont été détecté dans un seul et même prélèvement.[5] Malgré ces découvertes alarmantes, ces concentrations en PFAS (hors TFA) restent conformes à la norme choisie par la France (somme de 20 PFAS spécifiques limitée à 100 ng/l), bien moins strictes que celles d’autres pays comme le Danemark (2 ng/l pour la somme de 4 molécules spécifiques).[6] Si l’on appliquait simultanément les normes danoises sur les PFAS et les seuils français pour les pesticides, plus de 80 % des prélèvements (25 sur 30)[7] ne respecteraient pas au moins l’une de ces exigences. Ces comparaisons montrent clairement à quel point la France adopte une approche peu exigeante pour la protection des consommateurs.
Face à ces incertitudes, il est urgent que la France applique le principe de précaution :
- En évaluant précisément le danger induit par le TFA et en l’intégrant au plan de contrôle de l’eau du robinet ;
- En adoptant des normes plus strictes et protectrices basées sur des données scientifiques récentes ;
- En renforçant les contrôles sur les rejets industriels et en interdisant les pesticides classés comme PFAS.
Les PFAS : une menace persistante alimentée par le lobbying
Ces données alarmantes renforcent les appels à une interdiction stricte des PFAS. Cependant, la lutte contre ces substances toxiques est ralentie par l’intense campagne de lobbying menée par les industries productrices et utilisatrices. Une enquête coordonnée par Le Monde et 29 médias partenaires présents dans 16 pays a révélé les stratégies d’influence employées pour freiner l’adoption d’une interdiction européenne ambitieuse des PFAS dite la « restriction universelle » (uPFAS), ambition affichée dans le cadre du règlement européen Reach (Enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques).[8]
Parmi ces stratégies, l’argument trompeur du « polymer of low concern » (PLC) est régulièrement mis en avant par des industriels comme Arkema pour minimiser les risques.[9] Cet argument suggère que les plastiques fluorés ne seraient pas nocifs pour la santé car les molécules seraient trop grosses pour pénétrer nos cellules.[10] Ce concept, déconnecté des faits scientifiques, vise à réduire la pression réglementaire. Les budgets alloués au lobbying, en constante augmentation, atteignent des sommets. Le groupe Chemours, par exemple, a quadruplé son budget en six ans atteignant 2,25 millions d’euros en 2023, bien loin des 550 000 euros de 2017.[11]
Ces manœuvres entraînent des retards significatifs dans les processus de décision. Alors que l’Union européenne a proposé une « restriction universelle » en février 2023, les contributions massives des industriels – deux tiers des propositions lors de la consultation publique – ont submergé les régulateurs, ralentissant l’adoption d’une réglementation stricte, désormais envisagée au plus tôt pour 2026.[12]
Vers une interdiction urgente et nécessaire
Les conclusions de l’étude américaine, combinées aux révélations sur les stratégies des lobbies, soulignent l’urgence d’interdire ces substances. Leur persistance dans l’environnement, leur toxicité avérée et leur contribution à des milliers de cancers chaque année appellent à des actions fermes. En plus des efforts pour réglementer leur usage, il est essentiel d’investir dans la dépollution des eaux et de protéger les populations les plus exposées, notamment les travailleurs manipulant ces substances.[13] Les protections individuelles, privilégiées par les employeurs, s’avèrent moins efficaces que les systèmes de protection collective car elles permettent de protéger uniquement les personnes manipulant les produits et non l’ensemble des personnes se trouvant à proximité de ces produits nocifs.[14] De même, les « valeurs limites d’exposition professionnelle » mise en place par le législateur sont établies produit par produit et non à l’échelle de l’entreprise et donc sans prise en compte de l’effet cocktail potentiel.[15] Il est donc nécessaire de revoir ces mesures de protection afin de protéger au mieux la santé de chacun.
Enfin, le coût humain et financier de l’inaction – estimé à plus de 2 000 milliards d’euros pour la dépollution de l’Europe sur 20 ans[16] – ne peut être ignoré. Face à la résistance des lobbies, la mobilisation citoyenne et politique est plus que jamais nécessaire pour garantir la santé publique et préserver l’environnement.
Comment se protéger des PFAS au quotidien ?
En attendant une réglementation stricte, il est possible de réduire son exposition aux PFAS par des gestes simples :
- Limiter l’usage de produits contenant des PFAS : privilégier les ustensiles de cuisine sans revêtements antiadhésifs contenant du téflon, les emballages alimentaires non plastifiés et les vêtements imperméables non traités avec ces substances.
- S’informer sur la qualité de l’eau potable locale : dans les zones à risque, envisager l’installation de filtres spécifiques (charbon actif ou osmose inverse) qui peuvent réduire la présence de PFAS.
- Choisir des cosmétiques et produits ménagers plus naturels : éviter les produits avec des ingrédients fluorés dans leur composition.
- Participer à la sensibilisation : rejoindre des campagnes locales ou internationales pour demander des régulations plus strictes et des alternatives plus sûres aux PFAS.
Bien que ces mesures ne puissent totalement éliminer l’exposition, elles contribuent à la réduire en attendant des décisions politiques globales pour interdire ces polluants persistants.
[1] LI Shiwen, OLIVA Paulina, Lu Zhang, GOODRICH Jesse, MCCONNELL Rob, CONTI David, CHATZI Lida & AUNG Max, « Associations between per-and polyfluoroalkyl substances (PFAS) and county-level cancer incidence between 2016 and 2021 and incident cancer burden attributable to PFAS in drinking water in the United States», Journal of Exposure Science & Environmental Epidemiology, 09/01/2025 ; URL : Associations between per-and polyfluoroalkyl substances (PFAS) and county-level cancer incidence between 2016 and 2021 and incident cancer burden attributable to PFAS in drinking water in the United States | Journal of Exposure Science & Environmental Epidemiology
[2] Ibid.
[3] DUNGLAS Juliette, « La contamination de l’eau potable aux PFAS contribuerait à plus de 6 800 cas de cancers par an aux États-Unis », Le Quotidien du Médecin, 14/01/2025 ; URL : La contamination de l’eau potable aux PFAS contribuerait à plus de 6 800 cas de cancers par an aux États-Unis | Le Quotidien du Médecin
[4] Générations Futures & UFC-Que Choisir « Polluants éternels dans l’eau du robinet : une large présence détectée dans 96 % des communes testées. », 23/01/2025 ; URL : Polluants éternels dans l’eau du robinet : une large présence détectée dans 96 % des communes testées. – Générations Futures
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] HOREL Stéphane, « PFAS : comment l’industrie chimique fait dérailler l’interdiction des polluants éternels », Le Monde, 15/01/2025 ; URL : PFAS : comment l’industrie chimique fait dérailler l’interdiction des polluants éternels
[9] ROSSO Emilie, « PFAS et lobby : les stratégies d’influence « éternelles » d’Arkema et de l’industrie chimique », France 3 Auvergne Rhône Alpes, 16/01/2025 ; URL : PFAS et lobby : les stratégies d’influence « éternelles » d’Arkema et de l’industrie chimique
[10] Ibid.
[11] HOREL Stéphane, « PFAS : comment l’industrie chimique fait dérailler l’interdiction des polluants éternels », Le Monde, 15/01/2025 ; URL : PFAS : comment l’industrie chimique fait dérailler l’interdiction des polluants éternels
[12] Ibid.
[13] ASTIER Marie, « La CGT contre les PFAS : « Il faut les interdire pour protéger les salariés ! » », Reporterre, 06/01/2025 mis à jour le 07/01/2025 ; URL : La CGT contre les PFAS : « Il faut les interdire pour protéger les salariés ! »
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] HOREL Stéphane, « PFAS : comment l’industrie chimique fait dérailler l’interdiction des polluants éternels », Le Monde, 15/01/2025 ; URL : PFAS : comment l’industrie chimique fait dérailler l’interdiction des polluants éternels