Les brèves de l'ASEF - 18 février 2022
Bonjour à toutes et à tous,
Au menu de ces brèves, le Dr Servane Mouton étudiera l’impact des outils numériques sur la santé avec une revue de plusieurs études. Puis Dr Jean Lefèvre analysera l’étude Esteban sur les niveaux d’imprégnation de la population âgée de 6 à 74 ans aux pesticides et à leurs métabolites. Dr Collomb se penchera sur l’aspect psychologique entraînant l’adoption de comportement écologique. Enfin, nous vous présenterons notre nouveau mécène, le groupe Aerophile.
Bonne lecture!
Prenez bien soin de vous et de vos proches.
Outils numériques et santé : un enjeu de santé, individuelle et publique
Depuis la commercialisation des premiers smartphones en 2007, l’usage des outils numériques de développe de façon exponentielle, et le temps passé devant les écrans ne fait qu’augmenter.
En France, l’âge moyen d’acquisition du premier téléphone portable est neuf ans.
A 2 ans, 12 % des enfants jouent avec un ordinateur ou une tablette tous les jours, 10 % avec un smartphone, 68 % regardent la télévision tous les jours, 33 % ne font aucune activité d’extérieure.
Entre 3 et 6 ans, un enfant sur trois passe plus de 3 heures par jour devant un écran. La proportion passe à 40 % entre 7 et 10 ans, 50 % entre 11 et 14 ans, 70 % entre 14 et 17 ans !
Pour les adultes, hors temps de travail, la moyenne est entre 3h20 et 4h40 chaque jour.
A la lecture de ces chiffres, une évaluation des effets de l’usage des outils numériques sur notre santé s’impose. Au-delà de quelques controverses, certains faits sont solidement étayés par une littérature scientifique abondante. Sans être exhaustif, nous souhaitons en souligner quelques-uns.
Jusqu’à trois ans, l’enfant ne tire pas de réel bénéfice de l’usage d’un écran, en raison de ce que l’on nomme « déficit de transfert » : la difficulté à transposer dans le monde réel ce qui lui a été appris via un écran. Ceci peut être moduler par le fait de visionner le programme avec l’enfant (co-viewing).
Jusqu’à 6 ans, la vigilance des adultes s’impose : certaines études rapportent un effet délétère sur les performances cognitives globales, langagières et socio-émotionnelles dès 30 minutes d’exposition par jour.
Le co-viewing et la qualité éducative des programmes contre-balancent ces effets négatifs.
Le concept de « technoférence » a émergé, désignant les interférences dans la relation parents-enfants liées à l’usage des outils numériques pas les parents/adultes référents, en présence de l’enfant. Nous disposons de peu de recul, mais les effets délétères de l’usage intempestif des smartphones pourraient s’avérer préoccupants, par l’altération de la qualité de l’attention et des interactions entre l’enfant et son entourage.
Ceci est particulièrement vrai avant trois ans, nous savons désormais l’importance cruciale des mille premiers jours de vie dans le développement affectif et cognitif d’un individu, mais l’est aussi chez l’enfant plus grand et l’adolescent.
Par ailleurs, l’usage des écrans est l’un des facteurs majeurs d’altérations du sommeil. La simple présence d’un écran dans la chambre à coucher, a fortiori son utilisation, sont associées à une diminution de la quantité et de la qualité de sommeil. Or les altérations du sommeil augmentent considérablement le risque d’accident, via une augmentation de la fatigue et de la somnolence mais aussi l’incidence de nombreuses pathologies chroniques, en particulier le diabète et l’obésité, les pathologies cardiovasculaires, la dépression, les cancers, démences. Le sommeil est également un élément central dans les apprentissages chez l’enfant et l’adolescent en particulier, par son rôle majeur dans les processus de mémorisation.
Un élément largement sous-médiatisé est l’implication de l’usage des écrans dans les comportements sédentaires. Or la sédentarité :
– augmente le risque d’obésité, et l’obésité augmente le risque de maladies cardio-vasculaires, respiratoires, métaboliques, rhumatologiques, psychologiques, certains cancers ;
– est associée à une augmentation de l’incidence des maladies cardiovasculaires, après ajustement
– constitue un facteur de risque indépendant de développer un diabète de type 2.
Ceci est particulièrement préoccupant chez les moins de 18 ans. Le temps passé assis devant un écran est en effet actuellement l’indicateur le plus utilisé dans les études pour évaluer leur sédentarité. Or 31,2% des garçons et 62,8% des filles de 3 à 10 ans, et 18,2% des garçons et 57,9% des filles entre 11 et 17 ans, ont un comportement sédentaire.
Une remise en question de nos pratiques semble nécessaire. Mais également, une réelle volonté des pouvoirs publics de réguler l’économie de l’attention, qui sous-tend aujourd’hui le développement d’applications et de sites dont le but est de garder l’utilisateur en ligne le plus souvent et le longtemps possible.
Dr Servane Mouton, neurologue
Lire la synthèse des études portant sur l’impact des usages des outils numériques sur la santé
Niveaux d’imprégnation de la population âgée de 6 à 74 ans aux pesticides et à leurs métabolites – Etude ESTEBAN
Le 16 décembre 2021, Santé Publique France a publié son 4ème volet mesurant les niveaux d’exposition de la population française à 5 familles de pesticides ainsi qu’aux PCB, Dioxines et Furanes.
Nous nous intéresserons à la partie concernant les pesticides, ceux-ci étant de plus en plus présents dans l’environnement et l’étude ESTEBAN soulignant une problématique importante mais suscitant quelques interrogations.
L’étude a eu pour objectif :
- De décrire les niveaux d’imprégnation de la population âgée de 6 à 74 ans aux pesticides et à leurs métabolites (entre autres polluants) afin d’établir des valeurs de référence d’exposition. La population étudiée était constituée, selon les pesticides mesurés, de 250 à 500 (moy 458) enfants de 6 à 17 ans et de 749 à 900 (moy 873) adultes de 17 à 74 ans. Les mesures étaient pratiquées sur des échantillons d’urine par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectométrie;
- De comparer les résultats avec ceux d’études antérieures;
- D’analyser les facteurs déterminants les niveaux d’imprégnation.
Etaient donc étudiées 5 familles de pesticides :
- Organochlorés et chlorophénols;
- Organophosphorés;
- Carbamates;
- 5 familles d’herbicides dont le Glyphosate;
- Pyréthrinoïdes.
Pour chaque famille étaient exposés:
- Ses caractéristiques principales (caractères, utilisation);
- Sa quantification en fonction de la population, enfants ou adultes;
- La comparaison de cette quantification aux mesures pratiquées lors d’études précédentes en France et à l’étranger;
- Les facteurs influençant l’imprégnation aux polluants.
Les conclusions de cette étude que l’on peut retenir sont principalement :
Que les niveaux d’exposition varient en fonction des substances, les adultes étant plus exposés aux organochlorés, organophosphorés, pyréthrinoïdes, les enfants aux pyréthrinoïdes, au DMTP (métabolite d’organophosphorés);
Que l’on retrouve des imprégnations à des substances aujourd’hui interdites (Lindane chez 50% de la population).
Par ailleurs,
Les niveaux mesurés sont inférieurs à ceux mesurés lors d’études antérieures (ENNS en 2006-2007) sauf pour le métabolite de la Deltaméthrine (Br2CA).
Ils sont similaires à ceux mesurés en Europe et Amérique du Nord sauf pour le Bêta-HCH (métabolite des organophosphorés) et le Br2CA.
Enfin des facteurs influençant les niveaux d’imprégnation ont été identifiés:
- L’alimentation;
- La consommation de matières grasses augmentant l’imprégnation en organochlorés, celle de viande bovine et de sous-produits animaux l’imprégnation en pyréthrinoïdes;
- La consommation de vin, probablement liée aux traitements des vignes, augmente l’imprégnation par l’AMPA, métabolite du glyphosate;
- Par contre l’alimentation biologique entrainait une diminution de l’imprégnation en organochlorés, en DMTP et en pyréthrinoïdes;
- Certains comportements comme la consommation de tabac et l’utilisation d’antiparasitaires sur les animaux domestiques pour les pyréthrinoïdes.
L’étude ESTEBAN suscite cependant quelques interrogations.
On peut regretter que le problème de la pollution et de l’imprégnation par la chlordécone aux Antilles ne soit pas évoqué, seule la population métropolitaine et « hors Corse » étant étudiée.
Plus étonnante est la discordance entre l’étude ESTEBAN et une étude récente (D Grau et col, Environmental and Pollution Research 2021.12) [1], citée dans les dernières brèves. Celle-ci retrouve une imprégnation significative de la population française : Glyphosate quantifiable dans 99.8% des échantillons d’urine (en moyenne 1.19ng/ml +/- 0.84) chez 6848 habitants dans 84 départements.
On notera le fait que dans cette étude l’AMPA, métabolite du glyphosate, ne semble pas avoir été mesuré, à l’inverse de l’Etude ESTEBAN. Ce métabolite en effet est retrouvé dans cette dernière chez 74% des adultes et 93% des enfants. Ses effets sont comparables à ceux du glyphosate. Par contre dans l’étude ESTEBAN le glyphosate était retrouvé chez 17% des adultes et 93% des enfants. Cette différence demande certainement un approfondissement (populations différentes ; techniques de mesure différentes). D’autant que l’AMPA peut aussi provenir de la dégradation de phosphonates, à un degré minime cependant selon l’agence de santé néerlandaise (10% versus 90% pour le glyphosate).
Enfin on peut regretter que l’étude ESTEBAN ne se soit pas penchée sur 2 familles de biocides largement utilisées dans les deux dernières décennies, les nicotinoïdes, insecticides systémiques interdits en France depuis 2018 mais ayant bénéficié de dérogations, et les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase, fongicides, plus récents, largement utilisés en France.
Les premiers, neurotoxiques pour les insectes sont, pour certains, génotoxiques, pour d’autres toxiques pour le développement cérébral ou perturbateurs endocriniens. Ils n’ont jusqu’à présent jamais été surveillés à grande échelle dans la population humaine malgré leur utilisation depuis plus de 30 ans et leur rôle dans l’atteinte des populations d’insectes.
Les SDHI, plus récents, qui perturbent le fonctionnement mitochondrial impliqué dans la respiration cellulaire et le cycle de Krebs. Il n’existe à ce jour aucune étude épidémiologique les concernant. Selon un rapport de l’INSERM en février 2021 des études toxicologiques ou mécanistiques montrent que certains SDHI pourraient être considérés comme perturbateurs endocriniens chez certains poissons et ayant des effets cancérigènes chez les rongeurs. Des recherches et des réévaluations périodiques sont donc indispensables, d’autant que cette enzyme est aussi présente chez l’homme.
Dr Jean Lefèvre, cardiologue et porte-parole de l’ASEF.
L’ASEF se penche sur l’aspect psychologique entraînant l’adoption de comportement écologique
Une étude de Leyla Jaoued-Abassi, maître de conférences à l’université de Paris-Est intitulée « rôle des attributions dans l’explication de l’adoption d’un comportement écologique ».
Il ressort de cette étude qu’en matière de responsabilité et contrôlabilité vis-à-vis de l’environnement, la conscience personnelle d’une action possible sur l’environnement que Leyla Jaoued attribue au « moi, je » « entraîne un comportement écologique plus marqué que si l’attribution se fait au « nous », désignant la collectivité. »
En d’autres termes, la responsabilité de la collectivité apparaît comme la somme des responsabilités personnelles. Il est donc possible de considérer qu’il existe des niveaux de responsabilité personnelle conduisant à une action responsable de la collectivité.
Pourrait-on, de ce fait, envisager une « éducation en responsabilité » ?
Dr Alain Collomb, médecin généraliste et Président de l’ASEP (Association Santé Environnement Provence)
Le groupe Aerophile, notre nouveau mécène
AGENDA
Le 2 mars, intervention de Dr Pfister Brigitte et Dr Jean Lefèvre sur les risques cosmétologiques lors du Certificat d’Etudes Universitaires santé environnementale en périnatalité et fertilité, à la faculté de Médecine La Timone à Marseille.
Le 18 mars, le C2DS, en partenariat avec l’ASEF, organise une demie journée sur le développement durable au CHU de Montpellier.
Le 19 mars, à Grenoble, l’ASEF est invitée à une rencontre internationale entre des scientifiques internationaux dans le domaine de la santé environnementale en présence de la société civile (ONG, élus, citoyens), et interviendra lors d’une table ronde sur l’alimentation durable versus santé environnementale.
Le 22 mars, l’ASEF participera au « Green Day » organisé par le Lycée Arthur Rimbaud à Istres.
SOURCES
[1]Grau, D., Grau, N., Gascuel, Q. et al. Quantifiable urine glyphosate levels detected in 99% of the French population, with higher values in men, in younger people, and in farmers. Environ Sci Pollut Res (2022). https://doi.org/10.1007/s11356-021-18110-0