Le point sur les sels nitrités dans la charcuterie et l’évolution de la règlementation
Plus de 43 000 nouveaux cas de cancer du côlon sont détectés chaque année en France. Fréquent aussi bien chez l’homme que chez la femme, il représente la deuxième cause de décès par cancer tous sexes confondus. Véritable question de santé publique, sa prévention est une urgence. Confirmant le lien étroit entre santé et alimentation, un rapport du World Cancer Research Fund met en cause la consommation de viande rouge et de charcuteries dès 2007.
Octobre 2015 marque une étape décisive. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), classe la consommation de charcuteries en cancérigène et la viande rouge en probablement cancérigène pour l’humain ayant conclu qu’une consommation quotidienne de plus de 50 grammes de viande transformée augmente de 18 % le risque de cancer colorectal.
Avec l’alcool, la charcuterie est ainsi devenue le seul aliment consommé en France faisant l’objet d’un tel classement. En conséquence, Santé Publique France recommande de ne pas dépasser une limite de 150 grammes de charcuterie par semaine, ce qui représente environ trois tranches de jambon blanc. Ces prescriptions sont très loin d’être respectées : 63 % des Français les dépassent, ce qui est préoccupant. De nombreux scientifiques incriminent, pour expliquer cette cancérogénicité, les nitrites et nitrates ajoutés dans la charcuterie comme conservateurs, fixateurs de couleur et accélérateurs de maturation.
Les travaux de recherche ont montré que le fer héminique (d’origine animale) agit sur la cancérogénèse via l’oxydation des lipides et son interaction avec les nitrites engendrant leur conversion dans l’organisme en nitrosamine, substance classée cancérogène probable (groupe 2A) par le CIRC.
Les nitrites (E249, E250, E251 et E252) sont des additifs utilisés pour la préservation des charcuteries. Ils en assurent la conservation et empêchent le développement de bactéries comme Clostridium Botulinum à l’origine du botulisme (affection devenue extrêmement rare en France selon l’Institut Pasteur étant liée à la consommation de conserves familiales, mais aussi de produits artisanaux ou de la grande distribution) et sont aussi des anti-oxydants qui garantissent sa couleur rose au jambon et lui évitent de devenir gris à l’air.
Pour les charcuteries nécessitant un séchage, le sel nitrité accélère le processus : il faut neuf mois pour produire un jambon cru sans additifs contre trois avec des nitrites. D’où un gain économique important. La très grande majorité des charcuteries, toutes recettes confondues, en contient (12000 produits contiennent ces additifs en France).
Ni les doses limites fixées par l’EFSA (la DJA-Dose Journalière Admissible- actuelle est de 0,06 mg par kg de poids corporel et par jour) ni celles définies par le Code des usages, ni les recommandations de Santé Publique France ne protègent efficacement la santé des consommateurs.
Déposée à l’Assemblée nationale le 21 décembre 2021, une proposition de loi visant une interdiction progressive des nitrites dans les charcuteries à partir de 2023 a bien été adoptée le 3 février 2022 en première lecture à 93 voix sur 95, avec cependant d’importantes modifications par l’Assemblée nationale allant entraîner un report substantiel du calendrier prévu initialement. Ainsi, le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoit une surveillance et un encadrement progressif de la consommation des additifs nitrés :
• dans les six mois après la promulgation de la loi, le Gouvernement doit présenter au Parlement un
rapport tirant les conclusions de l’avis de l’Anses sur les risques sanitaires associés à l’ingestion
d’additifs nitrés dans la charcuterie ;
• dans un délai d’un an, un décret devra fixer une trajectoire de baisse de la dose maximale d’additifs
nitrés ;
• dans un délai de 18 mois, un décret devra préciser les modalités de mise en place d’un étiquetage
spécifique pour les produits contenant des nitrites. »
Conclusion
Bien que l’on puisse se réjouir du focus fait sur cette substance décriée depuis de nombreuses années et de l’avancée que représente ce projet de loi visant à réduire ce risque, il est à déplorer que des délais supplémentaires soient requis malgré les informations scientifiques actuellement disponibles.
En attendant, des produits sans sels nitrités ont été développés par de nombreuses marques accompagnés d’une augmentation très significatives des prix sans justification toujours valables, jouxtant les produits «classiques » en rayon, ce qui entérine les différences de qualité de l’offre en fonction des budgets des ménages.
Un tel texte de loi revêt un enjeu social important pour assurer une alimentation saine, sûre et durable pour tous. En effet, les plus modestes consomment des quantités beaucoup plus importantes de charcuterie et sont davantage touchés par le cancer colorectal. Il faut ainsi stopper le développement d’une alimentation « à deux vitesses » qui préserverait la santé des plus riches et exposerait celle des plus modestes à des substances dangereuses.
Pour le moment, il semble donc préférable d’appliquer les consignes de prévention données par le CIRC et Santé Publique France en limitant notre consommation de charcuterie contenant ces additifs.
Corinne Mairie, diététicienne et nutritionniste
Sources :
www.inrae.fr
www.pasteur.fr
www.vie-publique.fr
www.quechoisir.org