Lettre au ministère sur les perturbateurs endocriniens

Le 22 juin 2017, l’ASEF ainsi que deux autres associations (AMLP : alerte des médecins sur les pesticides et AMSES : association médicale pour la sauvegarde de l’environnement et de la santé) ont écrit une lettre à destinations des ministres de la santé et de la transition écologique et solidaire afin de faire le point sur la position française concernant les perturbateurs endocriniens.

 Limoges, le 22 juin 2017

À            Madame Agnès BUZYN,  ministre de la Santé

Monsieur Nicolas HULOT, ministre de la transition écologique et solidaire

Copie à: Monsieur Roger GENET, Directeur général de l’Anses

 

Objet: position française concernant les perturbateurs endocriniens (PE).

 

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,

 

Depuis des années, que ce soit en Martinique ou en France métropolitaine, nos associations ont une démarche d’éducation sanitaire tant auprès du grand public que de nos patients, concernant les dangers des PE. Car les données de la littérature internationale vont dans le même sens: celui d’une vulnérabilité particulière de la période de la grossesse, de l’enfance et de la puberté, source d’effets sanitaires à distance lors de la vie adulte, voire d’effets transgénérationnels. Dans l’attente d’une protection réglementaire et d’une politique de santé publique à la hauteur de l’enjeu, nous avons donc développé des actions privilégiant ces trois périodes.

Nous avons cependant acquis la certitude que les seuls conseils de prévention ne suffiront pas à éviter la catastrophe annoncée. Quand les voies de contamination sont l’air, les eaux, les aliments, les lieux de résidence et les activités professionnelles, que l’utilisation des produits en cause concerne des domaines très divers (des pesticides aux retardateurs de flamme en passant par les constituants de divers plastiques, de cosmétiques, des peintures…) et que la contamination des organismes humains et des écosystèmes est générale, la réglementation est indispensable.

Depuis décembre 2013 nous attendons la définition des PE qui aurait dû permettre la pleine application du règlement 1107/2009 concernant les pesticides et au-delà, de fournir une définition s’appliquant aux autres produits chimiques. Ces années perdues représentent pour nous un immense gâchis: les PE n’expliquent pas tout, mais leur rôle dans l’augmentation d’incidence de nombre de pathologies chroniques (malformations congénitales des enfants, troubles du neuro-développement, troubles métaboliques, cancers hormono-dépendants) n’est plus discuté. C’est donc avec consternation que nous avons accueilli depuis un an les différentes propositions de la Commission Européenne. A la veille d’un nouveau vote des Etats membres de l’UE, probablement le 4 juillet, nous tenons  à rappeler notre accord avec l’analyse et les propositions de l’Anses telles qu’exprimées dans son avis du 19 juillet 2016.

Nous souhaitons en particulier souligner les points suivants:

-la définition des PE doit s’appuyer sur la définition pleine et entière de l’OMS/2002 et non sur son seul premier alinéa: à côté des PE certains, doivent être reconnus les PE présumés. Retenir une seule catégorie de PE, les PE certains, avec le niveau de preuves exigé (démonstration d’un effet néfaste ET d’un mode d’action ET d’un effet néfaste qui soit secondaire au mode d’action –Note d’appui scientifique et technique de l’Anses du 01/12/2016) hors d’atteinte avec la plupart des produits chimiques, cache mal la volonté de ne pas légiférer.

cette définition doit être déclinée en trois catégories, en s’inspirant du modèle des CMR: PE «avérés», «présumés» et «suspectés» comme cela figure dans la Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens. Ces catégories ne présumant pas des conséquences réglementaires qui pourraient en être tirées, mais du niveau de preuve scientifique atteint pour caractériser une substance.

-le règlement concernant les pesticides PE (CE 1107/2009) introduit  un cadre réglementaire fondé sur le danger et non sur l’évaluation des risques. Si nous souhaitons comme les experts de l’Anses, que ce cadre soit défendu et étendu aux usages d’autres produits (cosmétiques, plastiques…) nous trouvons cette position contradictoire avec le souhait qu’une évaluation du risque puisse être conduite concernant les pesticides PE suspectés. L’effet de ces substances ne dépendant pas d’un seuil d’exposition, mais du moment d’exposition ainsi que du mélange avec d’autres molécules fussent-elles simplement «suspectes», la protection des fœtus et des enfants ne peut être efficace qu’en réduisant drastiquement l’exposition à ces produits. Cela légitime la nécessité d’une interdiction des pesticides qu’ils soient PE avérés, présumés ou suspectés, dès lors qu’on les retrouve sous forme de résidus dans l’alimentation. Par analogie quand on voit le peu d’empressement qui a été mis à engager la substitution des CMR suspectés, toujours soumise à la primauté des nécessités économiques, il est fort probable qu’introduire l’évaluation du risque ne serve, même involontairement, qu’à prolonger la durée d’utilisation de ces produits.

-la classification d’une substance PE est, faut-il le rappeler, bien destinée à couvrir l’ensemble des espèces vivantes: le classement des substances en PE est donc indépendant, et les experts de l’Anses ont raison de le souligner, des effets démontrés chez l’homme ou sur son environnement.

-enfin il est indispensable pour l’établissement du poids de la preuve scientifique de ne pas se fier aux seules données issues des modèles expérimentaux basés sur les lignes directrices internationales et fournies par les industriels. L’expertise de l’Anses montre qu’elles manquent en effet de modèles et de protocoles pertinents pour identifier un certain nombre d’effets néfastes et de nombreux mécanismes de perturbation endocrinienne. Or on le sait, de tels protocoles expérimentaux ne reposant pas sur ces lignes directrices, permettent d’identifier des substances PE ou potentiellement PE. Ils doivent être pris en considération parce qu’ils ne sont pas en décalage avec les avancées scientifiques mais aussi parce qu’ils représentent l’expression de données scientifiques indépendantes.

Depuis juin 2013 le spectacle qu’a donné la CE concernant les manœuvres autour de la définition des PE, est consternant. Le lobbying de l’industrie chimique a conduit jusqu’à présent à empêcher l’application d’un  règlement démocratiquement élaboré: le règlement pesticide 1107/2009. Il est du devoir des Etats de défendre l’intérêt général: celui-ci commande au nom de la Santé Publique, de mettre des limitations sévères à l’utilisation des substances perturbatrices endocriniennes, comme la communauté internationale avait su le faire pour les POP.

Nous souhaitons donc connaître au plus vite la position que vous défendrez au nom de la France et restons à votre disposition pour échanger sur cette question dont le Président de la République avait souligné l’importance lors de la campagne électorale.

Recevez Madame la Ministre et Monsieur le Ministre l’expression de nos sentiments les plus respectueux.

Accédez à la version pdf ici : lettre juin 2017 PE

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