14 janvier 2022

Le point sur l'oxyde d'éthylène - la synthèse de Corinne Mairie, diététicienne nutritionniste

CONTAMINATIONS ALIMENTAIRES PAR L’OXYDE D’ETHYLENE – QUE SE PASSE-T-IL ?

En septembre 2020, des centaines de produits contenant des graines de sésame ont été progressivement rappelés dans 25 pays de l’Union européenne suite à l’alerte donnée par leurs homologues belges via le RASFF (Rapid Alert System for Food and Feed : système d’alerte qui signale les problèmes relatifs aux produits agroalimentaires dans l’Union européenne.)
Ces graines, en provenance d’Inde (puis ensuite de Bolivie, d’Ethiopie, du Vietnam, de Chine, de Jordanie), présentaient des teneurs trop élevées d’oxyde d’éthylène (ETO). Depuis, de nombreux autres produits ont pu être identifiés comme contaminés à l’ETO, y compris des produits de label bio : des épices et aromates (poivre, gingembre, échalotes) en provenance de divers pays hors UE, du café, du psyllium et de nombreuses glaces contenant un additif : la farine de graines de caroube (E410) utilisée comme épaississant et stabilisant, autorisé en Bio.
Certains lots auraient pu avoir été mis sur le marché dès 2018.
La liste des produits rappelés par la DGCCRF est présente sur leur site à l’adresse suivante :
https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/sesame-psyllium-epices-et-autres-produits-rappelescomprenant-ces-ingredients

 

Quel est le danger?

 

L’ETO – C2H4O- est une substance classée CMR du groupe 1 (cancérogène avéré pour l’Homme) depuis 1994 par le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) – c’est-à-dire pouvant causer des anomalies génétiques, cancérogène et toxique pour la reproduction.

Fiche des données de sécurité du règlement CLP:

Selon les données de l’INRS, l’Oxyde d’Ethylène est un composé extrêmement réactif.
Il est utilisé comme matière première dans l’industrie chimique pour la préparation de divers composés (éthylène glycol et polymères dérivés, éthers de glycols, tensio-actifs, éthanolamines, acrylonitrile), en mélange avec des gaz inertes (dioxyde de carbone, azote) pour la stérilisation du matériel médico-chirurgical, pour la stérilisation, désinfection dans les industries cosmétique et textile. Il entrait dans la composition du fameux «Gaz moutarde » utilisé durant la première guerre mondiale.

La réglementation en vigueur

Puissant biocide, interdit dans l’Union européenne depuis 1991 comme pesticide, la mise sur le marché de l’ETO en tant que produit de protection pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux (TP20) est interdite depuis le 9 février 2011 (décision de la Commission européenne n° 2010/72/UE) et l’utilisation de ces produits est interdite en France depuis le 9 août 2011 (arrêté du 22 juin 2010).

Il avait également fait l’objet d’une saisine de l’Anses en 2011 en raison de son utilisation pour le nettoyage des biberons mis à disposition en secteur hospitalier malgré une circulaire datant de 1980 en limitant l’usage.

Quel risque ? Le niveau d’exposition des consommateurs

A ce jour, la liste des aliments concernés par le rappel/retrait de produits orchestré par la Direction Générale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes est déjà très longue et il semble qu’elle ne soit pas encore exhaustive. Le traçage des produits industriels contenant des ingrédients parmi les lots contaminés est toujours en cours et la liste devrait encore s’allonger au fur et à mesure des remontées d’informations obtenues par leurs fabricants. On peut donc légitimement s’inquiéter de la quantité de produit qui aura pu être utilisée par certains consommateurs si leurs habitudes d’achat les amènent à en ingérer régulièrement d’autant que les produits identifiés sont très variés : des compléments alimentaires aux CNO
(Compléments Nutritionnels Oraux utilisés notamment pour les patients dénutris atteints de cancer), des condiments, des sauces, des épices, toutes sortes de glaces, sorbets, en bac, bâtonnets, cornets, pots, desserts glacés, des nouilles, soupes de nouilles, potages instantanés, pâtisseries, friandises, pains de mie et biscottes, snacks, plats cuisinés, viandes transformées, laitages et desserts lactés, boissons et soda, etc…produits par les grandes marques nationales et les marques de distributeurs.

La liste des produits rappelés par la DGCCRF est présente sur leur site à l’adresse suivante :
https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/sesame-psyllium-epices-et-autres-produits-rappelescomprenant-ces-ingredients

Pour autant, il faut regarder le problème dans sa spécificité. Il semble que les teneurs résiduelles d’ETO retrouvées dans les analyses d’échantillons ne soient pas très élevées.
L’explication réside dans la grande volatilité de l’ETO dont on ne retrouve que peu de traces dans le produit fini (glaces, snacks…) malgré sa présence dans les matières premières utilisées (sésame, épices, farine de caroube…).

Selon les explications fournies par l’ATC (Association Toxicologie Chimie) sur son site, « le principal produit de dégradation de l’ETO est le 2-chloroéthanol (2-CE) ou éthylène chlorohydrine, qui se forme quand l’ETO réagit avec le chlore (Na Cl) qui se trouve dans les matrices alimentaires traitées. Dans le cas du traitement par l’ETO, la forme active de l’oxygène est l’époxyde porté par l’éthylène qui du fait de sa réactivité sur les entités biologiques vivantes, a son effet biocide mais induit sur les matrices alimentaires inertes la formation du 2-CE qui est le composé néoformé majeur ».

L’ETO aurait donc ici davantage un effet correspondant à celui d’un « auxiliaire technologique » qui lui « disparaît » au cours d’un traitement technologique mais qui induit la formation de composés néoformés qui peuvent avoir leur propre toxicité. Le pouvoir cancérigène du 2-CE fait l’objet de controverse scientifique entre experts. En fait, le 2-CE est considéré comme un faible mutagène (classé comme cancérigène de catégorie 2 par l’ECHA, c’est-à-dire cancérogène suspecté) et serait responsable de l’activité génotoxique.
De ce point de vue, il semblerait que le risque sanitaire lié à d’exposition à l’ETO ne soit pas aussi élevé que le laisse imaginer l’étendue de la contamination initiale des ingrédients importés si on s’en tient aux faibles quantités résiduelles retrouvées, se situant semble-t-il en dessous des seuils de sécurité réglementaire (NOAEL, Non Observable Adverse Effect Level) dans le produit fini en tous cas. Pour autant, au regard de la longue liste des produits rappelés, nous sommes en droit de nous interroger sur le risque d’un effet cumulatif que subiraient les personnes consommant régulièrement de nombreux produits de la liste, par ailleurs tellement longue et variée qu’il est à craindre que de nombreuses personnes ignorent ce rappel de marchandises, d’autant qu’après le début de cette affaire, la médiatisation est devenue relativement discrète.

Dans tous les cas, dans le cadre de la réglementation Européenne une matière première non conforme rend le produit fini non conforme, et cela quelle que soit la quantité d’ETO présente dans ce dernier, ce qui entre en adéquation avec le principe de précaution.

Comment cette contamination a-t-elle pu se produire malgré la réglementation en
vigueur ?

D’après la DGCCRF, des investigations sont actuellement en cours en lien avec la Commission européenne pour identifier l’origine de cette contamination. Plusieurs dizaines de lots de graines de sésame représentant près de 300 tonnes dont certains contenant des teneurs en ETO plus de 3500 fois supérieures au seuil autorisé ont déjà été répertoriés.
Dans un rapport sénatorial sur cette affaire, il est indiqué que « l’Union européenne recense 1 498 substances actives, en interdit 907 et ne prévoit que 176 substances à analyser. Quant à la France, elle analyse 568 substances, mais au regard des 1 498 substances à contrôler, cela signifie que plus de 900 substances actives ne sont presque jamais contrôlées ». Ainsi, seuls sept laboratoires en Europe savaient encore contrôler les taux d’oxyde d’éthylène, lorsque les premières alertes ont été données à l’automne 2020, rapporte 60 Millions de consommateurs.
Par ailleurs, toujours selon un article paru dans 60 Millions de consommateurs les fabricants avaient fait pression pour obtenir l’autorisation de laisser sur le marché les produits finis qui ne contenaient pas d’ETO à des niveaux quantifiables, malgré l’utilisation de gomme de caroube contaminée. Finalement, la Commission européenne avait rejeté toute dérogation et opté pour la tolérance zéro.

 Conclusion

Cette affaire met en exergue la grande complexité du sujet de la toxicologie alimentaire et la difficulté pour les autorités et les consommateurs d’avoir des garanties absolues.

C’est pourquoi, à la lumière de ce dossier, il est intéressant de rappeler quelques points de prévention santé :

  • L’intérêt de limiter la consommation des AUT (Aliments Ultra Transformés) et favoriser le fait maison pour limiter les ingrédients à risque que l’on retrouve majoritairement dans ce type de produits.
  • L’intérêt de privilégier les aliments produits localement, ainsi le risque d’exposition sera faible et en adéquation avec la démarche de protection de l’environnement et de prévention de la santé.
  • Enfin, rappeler que les compléments alimentaires peuvent présenter des risques intrinsèques s’ils ne sont pas utilisés à bon escient d’une part, mais donc aussi des risques de contamination accidentelle et/ou frauduleuse comme ici, qu’il convient donc de les utiliser de façon adaptée comme tous produits pharmaceutiques, parapharmaceutiques et phytopharmaceutiques.

Corinne Mairie, diététicienne nutritionniste, membre de l’ASEF.

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